jeudi 2 février 2012

Ni chez moi, ni ailleurs

Aujourd'hui, je vide mon sac.

Il faudrait que j’écrive un roman de ma vie pour tout dire, encore que je n’ai pas grand souvenir de mon enfance et adolescence, et je trouve d’ailleurs que c’est bien mieux d’avoir oublié même le reste, vu que tout ce que j’ai pu en tirer de toute façon, c’est de la violence et du mépris.


A peine sortie de maternelle, pendant laquelle la seule attention que je recevais était le commentaire selon lequel "mes dessins étaient trop moches" pour les maîtresses, j'ai débarqué à l'école primaire, où j’ai vu les oreilles de mes amis tomber, et mes propres cheveux arrachés par touffes entières par ma maîtresse de CE1 forcenée.


"Tu as eu un 19? Eh bien, ce n'est pas assez... Je veux un 20."


Durant ce même temps, j’avais d'ores et déjà pris l'habitude d'être le bouc émissaire désigné dans chaque nouvelle classe, parce que d’une j’étais l’ « intello » de la promo, donc celle qu’il ne fallait pas fréquenter, et de deux j’étais (à peine un peu) plus ronde que les autres.


"Grosse vache."


J’ai subi une sorte de ségrégation qui a empiré, toujours plus, jusqu’à ma dernière année de lycée, mes 18 ans. 18 terribles années.


Au collège, c’était l’indifférence, les moqueries, puis les insultes, puis le racket, puis le harcèlement par téléphone ou devant chez moi, puis les coups, tous les jours, tous les jours ça recommençait. Les coups, pourquoi, peut-être parce que les garçons me prenaient pour un garçon, avec mes cheveux courts que je n’avais jamais demandé à couper. Du moins, c'était leur excuse à eux pour le faire.


Vas-y que je te pousse dans les escaliers. Pourquoi t'es toute seule ? Vas-y que je te casse les poignets en te demandant "on sort ensemble, pas vrai?". Ben pourquoi tu pleures ? Vas-y que je te frappe, que je te tire le peu de cheveux que tu as. Faut pas pleurer, c'est pour les fillettes. Vas-y que je te vole tes affaires. Ils sont où tes amis ? Vas-y que je te souhaite de crever la bouche ouverte. Allez, prête-moi ton téléphone, sinon t'es une connasse. Vas-y que je te jette mon compas sur la gueule en plein cours. On est pas des amis ? Vas-y que je détruis ce que tu aimes le plus. Non mais t'abuses, c'était que des dessins quoi, en plus c'est pas nous qui avons fait ça, t'es trop salope de nous soupçonner.


Je vois des gens sidérés lorsqu'ils apprennent que des enfants se suicident. Mais moi, je les comprends tellement ces gamins. Je comprends toute la douleur de cet enfer scolaire, même si je ne saurais y donner une explication. A toute cette cruauté des enfants, cette indifférence des adultes.

Adultes qui te répètent des "ben c'est bien ça t'endurcira", des "tu n'as qu'à pas réagir, ils se lasseront à force", ou encore des "c'est que tu l'as mérité". Ça ne m'a jamais endurci, ils ne se sont jamais lassé, et je ne l'ai jamais mérité.


A l’âge de douze ans, déjà, je n'aspirais qu'à mourir. Je me voyais comme une fille sans intérêt, grosse, moche, qui n’aurait jamais de copains ni d‘enfants, ne se marierait jamais, ne serait jamais aimée, et je n’avais aucun doute sur tout ça, puisqu'à force que famille comme élèves me le rappellent sans arrêt, tout le monde m'en avait convaincue.

Et à ce même âge, j’ai été abusée par mon camarade de classe, autiste, seize ans et qui n’en finissait pas de redoubler. Quand cela m’est arrivé, je n’ai rien compris à ce qu’il se passait, ni ce qu’il voulait de moi, je n’avais jamais eu mes règles ni entendu parler de sexe dans ma famille seulement… et je n'ai pas su poser le mot "viol" dessus. C’est à mes yeux ce qui a fini de faire basculer ma vie dans son entier, la perte d’innocence…


Dès ce moment, j’ai cherché toutes les raisons, toutes les excuses, toutes les explications possibles à son geste, je n’arrivais même pas à lui en vouloir, je voulais juste savoir pourquoi il m’avait fait ça. Je voulais lui parler, mais en même temps j'étais terrifiée qu'il m'arrive de nouveau quelque chose. C’est seulement plus tard que j’ai pu ressentir de plus en plus de dégoût vis-à-vis de lui, quand j’ai commencé à connaître mon corps par moi-même, et quand j’ai eu mon premier "petit copain" à quinze ans, un marocain, à qui j’ai dû raconter ce que j’ai vécu, et qui m’a dit « que je le dégoûtais parce que je n’étais plus vierge »


Ce qui a suivi ensuite, lorsque je l'ai raconté à mes proches ami(e)s, au lieu de m’enlever un poids du cœur, m’a coûté encore plus cher… 


Car au lycée, le même schéma qu’au collège reprenait, les coups en moins, le harcèlement sexuel en plus. Des rumeurs ont circulé dans l’établissement comme quoi j’avais vécu ma première expérience sexuelle à douze ans, sans plus d’information. Donc, je subissais chaque jour les commentaires, les insultes, les propositions d’une bande de garçons d’une classe avec qui la nôtre avait certains cours en commun…

Un jour, vers la fin de l’année de terminale, ils ont été jusqu’à venir exprès pendant le cours de sport pour me harceler, et à partir de là, j'ai refusé de retourner au lycée le lendemain… et j’ai parlé à ma mère de ce que je vivais là-bas, sans trop rentrer dans les détails, et la CPE, qui a convenu d'un rendez-vous personnel avec moi, a pu mettre fin à tout ça, quand je lui ai tout dit, à elle. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle a pu dire à ces mecs quand elle les a convoqué, mais en tout cas ils ne sont plus jamais revenus vers moi ensuite, et c'était déjà pas mal, même si c’était déjà un peu tard, après deux années et demi de passées… et la solitude qui demeurait.


Pour parler un peu de ma famille, j’ai su très, très tôt que je n’étais pas une enfant désirée… on ne me l’a pas dit directement, mais à peu près deux soirs sur trois, dès le plus jeune âge, je voyais mes parents se balancer des assiettes à la figure, et j’entendais depuis ma chambre ma mère répéter que je n’aurai jamais dû naître et qu’elle allait se suicider, et de temps en temps, elle reprenait ces mêmes choses au téléphone…

Ma mère, elle n’est jamais satisfaite, même aujourd’hui elle est enfin séparée de mon père, mais elle n’a pas changé. Elle se plaint sans arrêt, même quand je fais les choses exactement comme elle les fait, même quand je réussis, même quand elle est toute seule, et même quand je suis à côté, au lieu de me parler elle se plaint à elle-même…

Je ne suis qu'un fantôme. Quelque chose dont elle aurait dû avorter. Et si elle l'avait fait, je ne lui en aurais pas voulu à vrai dire.


"Ta mère est une grosse conne."


Lorsque je suis à ses côtés, tout le temps, de six heures du matin jusqu'au plus profond de la nuit, je l’entends se plaindre, de moi, de tout le monde. Le fait qu’elle parle toute seule, c’est aussi une des raisons qui fait que l’on s’est beaucoup moqué de moi au collège et lycée, avec aussi son accent et le fait qu’elle soit plutôt forte. Non seulement je n’avais pas confiance en ma mère, elle me faisait souffrir et m'ignorait (sauf quand il s'agissait de me réprimander bien sûr), mais en plus elle était ma honte.

Pourquoi je n’avais, et je n’ai toujours pas confiance en elle, pour des raisons encore plus évidentes ;
A l’école primaire, elle n’a rien fait pour moi, même quand elle a vu ma tête pisser le sang quand je suis revenue à la maison, alors qu’elle SAVAIT, tout le monde ou presque dans cette ville savait ce qu’il se passait avec cette prof, mais tout le monde fermait les yeux, donc elle aussi…


"Non mais même les flics ont peur de cette bonne femme."


Quand, au lycée, la CPE a rencontré ma mère et a fini de lui raconter ce que je lui avais confié, ma mère a estimé que « ce n’était pas grave, que ça lui était aussi arrivé à elle, et que ça arrive à toutes les femmes ou presque au cours de leur vie », aucune compassion… enfin, comme si je devais m'attendre à autre chose venant d'elle.


"Moi je n'en fais pas tout un plat."


Ensuite par rapport à mon père, elle l’a laissé me faire du mal. Il n’a jamais été très présent, mais quand il l’a été un peu plus à partir de mon adolescence, après avoir renoncé à sa maîtresse (qu’il fréquentait sous prétexte d’avoir du travail, et depuis que je suis née, comme par hasard...), il l’était, mais d’une façon malsaine

Je n’étais plus sa fille mais une femme (ou plutôt femme-objet) pour lui… bref, ma mère le voyait me peloter les fesses de temps à autre quand je passais près de lui, ce que je vivais encore plus mal avec le souvenir de mon viol qui me hantait en permanence, et elle, elle voyait ça comme des « marques affectives de la part de mon père », alors que pour n’importe qui d’autre, c’était évident qu’il me regardait de façon plus que lubrique, surtout quand son érection était visible…

Et quand je ne me laissais pas faire par lui, je recevais des baffes, « méritées » selon ma mère, et qui me laissaient des marques bleues sur le visage des jours durant. Il a été jusqu’à me caresser les cuisses dans mon sommeil, et la poitrine, en faisant comme « s’il n’avait pas fait exprès ». Tout ça a pu se terminer en même temps que la fin du lycée, à la séparation de mes parents, et donc le déménagement dans ma nouvelle ville... pour une "nouvelle" vie.

Enfin, ces choses-là, font partie des choses que je ne pardonnerais jamais à ma mère.


Depuis, mon père vit avec sa maîtresse, et je me débrouille pour le voir le moins possible chaque année. Il ne me fait plus de mal personnellement, mais j’ai encore très peur, pour d’autres, et pour mes nièces… car j’ai, enfin moi et ma mère, nous avons découvert il y a quelques années un fichier compromettant… ensemble, nous avons regardé le contenu de son ordinateur portable personnel, qui était autrefois le mien, et nous avons trouvé des dossiers entiers de vidéos et photos pornos violentes, et au milieu de tout ça… une photo de ma nièce, la petite aînée, deux ans, nue, sur son bateau à lui…

Et ma mère nie encore la réalité, même avec des preuves, elle ne veut se rendre compte de rien… elle m’a obligé à supprimer mes premiers blogs, mes premières centaines d’écrits, parce que je disais la vérité, et surtout parce qu’il ne fallait pas que ça se sache bien sûr…


Bref, voilà les ruines de mon enfance et adolescence. Durant lesquelles je n'étais en sécurité ni chez moi, ni ailleurs.

Je voudrais les effacer, mais elles font partie de moi. Et elles ne m'ont pas aidé à devenir plus forte. Elles m'ont relégué au silence, à la censure, à la dépression, à la douleur et à la solitude, durant tellement d'années. Elles m'ont délégué le rôle d'une enfant blessée, qui n'aura appris à se construire que très tard. Se construire une estime de soi, une confiance en elle et en autrui, un présent, un avenir.

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